Rome en Afrique

Publié le par ABDEL BOUCHAREB

Rome en Afrique

La troisième guerre punique, s’était soldée en 146 av. J-Ch par la destruction de Carthage, principale concurrente de Rome en méditerranée. La ville a été « couverte de sel » et ses territoires furent annexés pour former la première province romaine : l’Africa.

« Delenda carthago » trouvait chez S. Gsell une lecture pour le moins originale. En effet, E-F Gauthier-1- nous dit que l’illustre historien voyait dans cette harangue (attribuée au sénateur Caton et signifiant « il faut détruire Carthage »), une obstruction faite à un projet de Massinissa qui nourrissait une intention d’annexer la capitale punique et de s’ériger en un nouveau Alexandre.

Mais il semble d’après plusieurs historiens que cette annexion n’a jamais «romanisée» réellement la région, car établie à Utique, la nouvelle capitale restait habitée par « l’esprit punique ».

Jusqu’à 105 av. J-Ch, les romains avaient dû dépêcher leurs meilleurs généraux pour venir à bout de l’intraitable Jugurtha non sans profiter de la complicité de Bocchus roi de la Maurétanie. Le prince Numide mourut dans les cachots de Rome et son royaume fut redistribué. Une partie de la Numidie a été annexée à la province Africa, la partie occidentale attribuée à Bocchus (pour services rendus), et Hiempsal , légitime héritier et descendant de Massinissa se contenta du reste.

Cependant, Juba, fils de Hiempsal II prit le parti de Pompée contre César dans le conflit romano-romain. Ce dernier, pour en découdre avec son opposant, débarqua à Thapsus (Ras Dimas en Tunisie) en 46 av.J-Ch et mit en déroute l’armée des pompéiens et des Numides de Juba, aidé par le Roi Bocchus et le condottiere Sittius.

Las des crises dynastiques qui secouaient le royaume de Numidie, allié des romains, César décida de réorganiser l’Afrique :

  • Ainsi, il créa une seconde province l’Africa Nova : limitée à l’est par la fossa regia à l’Ouest par une ligne commençant à l’ouest d’Hippo Regius (Annaba) et passant au sud/ouest de Calama (Guelma), alors que les limites au sud restaient imprécises. Salluste fut son premier gouverneur ;

  • L’ancienne province Africa prit le nom d’Africa Vetus. C’était peut-être César , qui fonda la colonie de Carthage, (Colonia Iulia Carthago), suivie par d’autres créées en 39 av.J-Ch tout autour du « territoire maudit » comprenant Curubis (Korba), Clupea (Kelibia) et Hippo Diarrhytus (Bizerte);

  • Sittius et ses aventuriers bénéficièrent des territoires relevant auparavant de Massinisa-2- à l’ouest de la Numidie, et situés autour des villes de Cirta (Constantine), Milev (Mila), Chullu (Collo) et Rusicade(Skikda). Ce territoire fédéré jouissant d’une certaine autonomie, restait administrativement sous la tutelle du gouverneur de l’Africa Nova :

  • Les territoires à l’ouest de l’Ampsaga (le Rhummel) furent attribués à Bocchus .

Tué en 44 av. J-Ch, César n’avait pas achevé son projet de réorganisation de l’Afrique. Car nous constatons à travers ces attributions des territoires, une poursuite de la politique de protectorat romain concernant les territoires occidentaux de l’Afrique alors que les deux provinces annonçaient la colonisation « officielle».

Certains historiens attribuèrent à César des intentions d’asseoir une organisation de l’Afrique à travers un « repeuplement » par des romains, installés dans des colonies nouvellement créees pour diffuser la romanisation. En effet, selon T. Mommsen, 3000 colons italiens et des bénéficiaires de terres à titre locatif ou précaire furent conduits à Carthage. Alors que la confédération de Sittius était rangée parmi les colonies militaires.

Ainsi, les principales colonies seraient Carthage et Cirta : « Les deux cités Juliennes de Carthage et de Cirta furent et restèrent dorénavant les centres principaux de la colonisation romaine en Afrique »-3-.

Commençait alors l’intermède des « guerres civiles », où l’Afrique fut âprement disputée entre les gouverneurs des provinces représentants les belligérants du triumvirat (Octave, Lépide et Antoine).

A l’issu des « guerres civiles », Octave, sortant « gagnant » sans concurrent, reprit en main l’organisation des provinces d’Afrique. Car en 36 av. J-Ch, les deux provinces d’Afrique étaient réunies en une seule: la « proconsulaire » c’est-à-dire sénatoriale, où la confédération cirtéenne (territoires de Sittius) bénéficiait de la même autonomie, mais relevant administrativement du proconsul.

Les 76 légions, la cavalerie, les troupes auxiliaires composant l’armée romaine constituaient non seulement une « charge » considérable pour le trésor mais aussi un « danger » permanent pour la stabilité de l’empire, précaire du reste. Poursuivant l’œuvre de son père adoptif, Auguste Octave entama la dispersion des troupes en Afrique, en Sicile, en Macédoine et en Grèce, cherchant l’extension de l’empire et surtout diffusant la romanité par l’intermédiaire des vétérans, accueillis dans les colonies fraîchement fondées.

Une grande partie de ces troupes a été implantée en Afrique du Nord, particulièrement sur le littoral de l’Atlantique aux Syrtes. Plusieurs villes fondées sur les anciens comptoirs phéniciens portèrent le titre de Colonie, avec l’épithète Julia ou Augusta.

Concernant le territoire algérien actuel , Bocchus II , mort en 33 av. J-Ch et n’ayant pas d’héritier, Octave fit gouverner la Maurétanie par l’intermédiaire de deux préfets, et profita pour fonder six nouvelles colonies sur les anciens ports phéniciens:

  • Igilgili (Jijel)
  • Saldae (Bougie), ces deux colonies avaient accueillies les vétérans de la VII Légion.
  • Rasazus (Azzeffoun)
  • Rusguniae (Bordj El Bahri)
  • Gunugu (près de Gouraya)
  • Cartennas (Tenès)

Et à l’intérieur :

  • Tubusptu (Tiklat au Sud Ouest de Bougie, dans la vallée de la Soummam)
  • Aquae Clidae (Hammam Righa)
  • Zucchabar (Miliana)

En 25 av. J-Ch, Auguste intronisa Juba II -4- sur les territoires de la Maurétanie.

Les césars qui succédèrent à Auguste s’employèrent à élargir l’empire en Afrique. Ainsi Tibère adopta une politique orientée sur la soumission des tribus telle que les Musulames, préparant ainsi la mainmise des romains sur de nouveaux territoires. Il fut quand même gêné dans ses projets par la révolte de cette tribu conduite par Tacfarinas.

Caligula, ne trouva pas mieux que d’assassiner Ptolémée fils de Juba II et d'annexer la Maurétanie à l’Empire romain. En 42 av. J-Ch, Claude affirma cette colonisation en créant deux provinces en Maurétanie : La Maurétanie Césarienne et la Maurétanie Tingitane (au Maroc). Cette annexion s’était déroulée dans la révolte des Mazyques (tribu des montagnes de Ouarsenis) conduite par Aedemon, un affranchi de Ptolémée. Anéanti après les expéditions réussies conduites par des généraux romains, le territoire s’était étoffé par la fondation d’une ville forteresse, oppidum Novum (Ain Defla).

Les Flaviens après avoir « soumis » les tribus du sud de la proconsulaire, déplacèrent la legio III Augusta à Mascula(Khenchela), et Vespasien construisit une route reliant Theveste (Tebessa ) à Hippo Regius (Annaba), pour mettre en communication l’armée avec le port. Il fonda en Maurétanie les colonies d’Icosium (Alger), Tipasa et Madauros(M’Daourouch) en Proconsulaire et accorda à Theveste le statut de en municipe. Les habitants de ces dernières localités prirent le gentilice Quirina (tribu des Flaviens).

Les Antonins se singularisèrent par une « urbanisation » importante, allant jusqu’à la création de villes nouvelles pour les vétérans. Nerva fonda en 96-98, Sitifi Colonia Nerviana Augusta Martialis -5- , Trajan établit les vétérans à Thamugadi(Timgad) en l’an 100.

Ces implantations au piémont Nord ont été accompagnées par la fondation de plusieurs fortifications : Lambiridi, Lamasba(Merouana), Zarai, Calceus Herculis (El Kantara), Vescera (Biskra), Thabudeos (Thouda), Badias Medias (Taddert) et Ad Majores (Negrine).

Puis Lambasaesis (Tazoult) fondée probablement en 123, accueillit la Légion III. Elle était le siège du légat qui commandait la province de Numidie. Les vétérans s’installèrent à Verecounda (Marcouna), Tadutti, Bagai (Baghai), Casae (El Maader),Diana Veteranorum (Ain Zana), Lamiggiga (Seriana) et Tabunae (Tobna).

plupart des habitants de ces cités avaient pris le gentilice de Papiria de la tribu de Trajan.

les Sévères, pour la première fois un empereur Africain commandait les romains : Septime, originaire de Leptis Magna (Libye). D’après les historiens, ils avaient fait étendre les territoires d’Afrique plus au sud en ramenant le limes des Aurès jusqu’à la Maurétanie Tingitane , en passant par Zabi (Bechilga), Auzia (Sour) , près de Tiaret , Pomaria (Tlemcen) ,Numerus Syrorum (Maghnia) .

La période du Bas-Empire connut des moments troubles ou les cités romaines étaient dévastées par les attaques des « barbares », les Bavares, les Quinquegentiani et les fraxinenses. Durant cette période, le christianisme s’installa en Afrique et ses adeptes subirent même des persécutions

Administrativement l’Afrique subissait des changements. En effet, les réformes de Dioclétien ramenèrent une nouvelle organisation des provinces :

  • la Proconsulaire ou la Zeugitane

  • La Byzacène

  • La Tripolitaine

  • La Numidie fut divisée en deux, Numidia Militana (militaire) au sud dont la capitale était Lambasaesis et Numidia Cirtensis au Nord, organisé autour de Cirta.

  • La Maurétanie Sitifienne

  • La Mauritanie Cesarienne

  • La Maurétanie Tingitane

En 314, Constantin fit de la Numidie une seule province : Numidia Constantina qui eut comme capitale Constantinae, le nouveau nom de Cirta en l’honneur de l’empereur.

Le déclin de l’Empire romain durant cette période avait été déjà bien entamé.

Pour résumer cette décadence en Afrique nous empruntons quelques-unes des « réflexions » aux historiens qui assurent que la romanisation n’a jamais été profonde, c’est-à-dire, elle n’avait concerné que les populations des villes du Nord, alors que les habitants des massifs montagneux étaient restés en marge de la civilisation. Car ces derniers « se résignèrent à payer les taxes et à fournir les contingents qu’on exigeait d ‘eux, mais ils n’attendaient que des occasions favorables.» -6-

Occasions qui se présentèrent quand l’autorité impériale était occupée à affronter les "barbares" sur le Rhin, le Danube et l’Euphrate. Il y avait aussi les persécutions violentes contre les chrétiens puis sur les hérétiques. Les gouverneurs des provinces moins contrôlés pressuraient les tribus.

Les grands domaines « phagocytèrent » les petites parcelles, et les cultivateurs se transformèrent en petits fermiers ou ouvriers agricoles, et finirent par « un nivellement fatal, assimilés aux esclaves employés à la culture »-7- .

Ces populations marginalisées, non romanisées « enfourchèrent » le donatisme. Ce fut le premier schisme adopté par les « autochtones » pour protester contre les conditions qui les réduisaient à l’esclavage. Ils prirent le parti des révoltes conduites par Firmus et Gildon.

Ce mouvement prit une forme de lutte « sociale », quand les « circoncellions », des paysans dépossédés, des colons ruinés, des esclaves en fuite avaient trouvé avec les donatistes des points communs, ce qui ne manqua pas de donner à cette révolte un « légitimité » religieuse et mystique.

La répression « au nom de l’unité » a été très violente et Saint Augustin ne pouvait ignorait le zèle qui avaient accompagnait les conversions « forcées » des hérétiques donatistes, assimilés souvent à des hors-la-loi et tués.

Cette conclusion de Ch. A. Julien exprime parfaitement le déclin des romains

« Si l’on juge l’arbre aux fruits, ceux de l’autocratie romaine furent singulièrement amers. Sa colonisation aboutissait à une banqueroute frauduleuse dont les populations provinciales en firent les frais. » -8-

1. GAUTHIER E-F.Les siècles obscurs du Maghreb .Ed.Payot .Paris 1935.en p.117.

2. Homonyme du Roi Numide, S.Lancel le nomme Matsinisa .

3. MOMMSEN T.Histoire des romains. Lib. Franck. Paris .1872. (8T).Liv.V.Chp.9.

4. marié à Cléopâtre Selênê, fille de Cléopâtre reine d’Egypte

5. CIL VIII. 8467 et 3272

6. S. GSELL S. L’Algérie dans l’antiquité. Typo.A.Jourdan.Alger.1903.en p.98.

7 GSELL S. idem p.110.

8 JULIEN Ch-A. Histoire de l’Afrique du Nord.Ed.Payot.1961 T1.231.

Pour citer l'article :

Abdelouahab BOUCHAREB

"Cirta ou le substratum urbain de Constantine"

These d'Etat. Univ. Mentouri Constantine. DAU. Sept.2006. 600 p.

Publié dans HISTOIRE ANTIQUE

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